Petite causerie pédagogique.
Aujourd’hui, le Chef d’œuvre pédagogique.
Hier, s’est déroulé le premier Chef d’œuvre pédagogique de l’année. Le moment a été dense. Ceux qui suivront le seront aussi. Nous le savons déjà  ! Voilà où réside la puissance de cette pratique au sein de l’école. Quand les enfants présentent l’aboutissement de leur travail, ils sont déjà sûrs d’être soutenus et admirés. Mais pour comprendre cela, il faut éclairer la question selon différents angles, car l’aspect scolaire n’en est qu’une des multiples facettes.
Le premier sera historique. Le Chef d’œuvre pédagogique proposé par Charles Pepinster, il y a plus de trente ans, a été emprunté à Célestin Freinet. Ce dernier s’était lui-même inspiré des Compagnons du Tour de France et du travail qu’ils devaient fournir à la fin de leur périple. Eux-mêmes honoraient un héritage plus ancien encore. Nous venons de loin ! Toutes ces étapes, malgré leur décalage dans le temps ont été traversées par une même pensée : cheminer et faire cheminer vers un certain aboutissement ; accompagner et pousser la réflexion ; critiquer et proposer le mieux. C’est encore vrai.
Le deuxième sera pédagogique. En amont d’une présentation, un travail très important a été effectué autant que des attitudes particulières ont été sollicitées. Parmi la soixantaine de consignes proposées en guise de ligne de conduite, il faut en choisir. Et le choix n’est pas facile si l’on veut bien faire. Il faut se projeter, s’engager, faire preuve d’audace et d’autonomie, se tromper, recommencer. Et « faire » car toutes les ébauches doivent aboutir puisqu’elles vont être communiquées. Les connaissances acquises préalablement doivent être rassemblées, triées, mobilisées pour parvenir au bout. Bien sûr, seul, à onze ou douze ans il n’est pas envisageable d’y parvenir. C’est pourquoi un parrain ou une marraine accompagne l’enfant. L’avantage, c’est qu’il n’est ni un des parents, ni un des professeurs. Il est une grande personne avec qui on dialogue. Les rapports sont beaucoup moins hiérarchiques, ce qui permet de moins s’effacer.
Le troisième sera symbolique. La fin de la scolarité primaire marque un double passage : l’un, institutionnel, vers la « grande école », l’autre symbolique, vers l’adolescence. Le Chef d’œuvre pédagogique participe à marquer ce moment, cette rupture nécessaire d’un état à un autre. D’aucun affirment que notre société manque cruellement de « passages initiatiques ». Le Chef d’œuvre en est un qui s’inscrit dans une visée d’émancipation de la personne.
Le quatrième sera….le regard d’autres pédagogues. Outre ses promoteurs (Freinet, Pepinster), d’autres personnes se sont penchées sur le sujet soit pour l’expliquer, soit pour le comprendre.
Léonard Guillaume (Labor, 2001) a publié « Exposés interactifs des élèves. Pourquoi ? Comment ?». Dans cet ouvrage, il décrit de manière très précise les aspects didactiques et les effets psycho-pédagogiques du Chef d’œuvre.
Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet (PUF, 1997-2003) analysent la « Pédagogie de Chef d’œuvre » et en font un chapitre complet de leur ouvrage « L’éducation post-moderne ». Celui-ci commence d’ailleurs par ces quelques lignes : « Et vous madame, vous avez déjà présenté un Chef d’œuvre ? Un enfant de la Maison des Enfants ». Un des besoins identitaires fondamentaux serait rencontré par cette manière de faire.
Jean-Pierre Pourtois et Boris Cyrulnick (Odile Jacob,2007) insistent sur l’effet très bénéfique du Chef d’œuvre pédagogique dans leur ouvrage « Ecole et résilience ». Ces auteurs évoquent l’impact réel sur l’estime de soi des enfants de ce long travail. Ils citent nommément la « Maison des Enfants ».
Cette année, une petite fille nous a déjà annoncé « Moi, je n’ai pas encore présenté, mais je suis déjà fière de moi. C’était difficile. »
Jean Houssaye (Fabert, 2007), dans son livre « Nouveaux pédagogues. Pédagogues de demain ? » offre une place de choix au sujet puisqu’il consacre un chapitre complet à Charles et à ses propos sur son « invention scolaire ».
Et il y en a d’autres : Lire et Ecrire qui l’utilise abondamment, « CapTen : soit capitaine de ton projet »(www.capten.be), sponsorisé par les plus grandes entreprises belges, se réfère explicitement à la Maison des Enfants, des écoles secondaires, certaines universités où il est enseigné (UMH, Luxembourg, Liège),…
En conclusion, ces quelques lignes ont pour objet de montrer que le Chef d’œuvre pédagogique est bien plus qu’une pratique scolaire, que pour en comprendre les tenants et aboutissants, il faut bien plus que les outils habituellement utilisés pour « évaluer » les élèves.
Il est aussi bien plus qu’une pratique originale liée à la Maison des Enfants. Il s’inscrit dans une visée humaniste de l’éducation défendant des idéaux démocratiques et d’émancipation, de solidarité et de créativité.
A méditer.
JF Manil